Voici à quoi ressemble la vie avec l'EB

Dans la famille on a des cloches !

" J'ai des cloches "

Depuis tout petit, « j'ai des cloches ». C'est l'expression familière employée dans la famille pour dire que dès qu'il fait chaud à tous les points de frottement nos pieds et nos mains se parent de bulles, ampoules ou phlyctènes pour employer des mots plus scientifiques.

Très vite j'ai accepté ce fait d'autant que ma maman, ma grand-mère et ma tante avaient le même problème.

Autant en hiver nous pouvions faire des promenades ou du sport, autant en été ou dès que la température dépasse 18° nous avions des problèmes avec ces satanées cloches. Aux pieds ou aux mains surtout, l'abrasion du toit de la bulle provoque inévitablement des ulcérations douloureuses. Pas question donc de faire de longues promenades ou du sport dans de telles conditions.

On apprend à " se gérer " ....

On apprend à " se gérer " ....

Et pourtant, à chaque génération, des remèdes plus ou moins miraculeux avaient été tentés. Je me souviens de l'application de suif, des bains de pieds d'eau de mer, des bains de pieds au formol, tous évidemment sans effet. La médecine elle aussi semblait désemparée, aucun diagnostic précis n’étant posé, les dermatologues évoquant tantôt l'excès de sudation, tantôt le défaut de sudation, ou bien une allergie voire une infection !

Lorsque j'étais enfant je craignais à l'évidence les promenades sur la longue digue de Blankenberge ou les promenades en montagne dans le but d'atteindre le refuge « à la vue exceptionnelle » au sommet du promontoire.

Et à vélo, ce sont les mains qui souffraient...

Bref j'ai vécu mon enfance et mon adolescence en apprenant à me « gérer » et à me soigner tout seul, en piquant les cloches, en le désinfectant plus ou moins, en souffrant un peu ou beaucoup et en attendant que ça passe... Je scrutais le ciel dans l’espoir du retour du temps froid.

Champion de tennis

J'ai pratiqué avec un certain succès le tennis mais seulement en hiver ou lorsque le temps était médiocre. Il est assez frustrant de participer à des tournois qui ont surtout lieu au printemps et en été, de passer facilement le premier tour, déjà plus difficilement le second ou de devoir abandonner à la fin de celui-ci, même si on sent bien qu’on va gagner…

Ma maman et moi jouions au tennis avec un gant à la main droite, ce qui assurément était inhabituel et nous donnait une allure originale, un peu « dandy ». Je répondais que ça améliorait mon « grip ». En fait, vous devinez que nous essayions de diminuer les frottements du manche de la raquette avec la paume de la main.

Années 80 : les médecins ne reconnaissent pas nos cloches

Lorsque j'ai entamé des études de médecine, je me suis assez naturellement intéressé au sujet des « cloches ». J'ai même fait des stages de dermatologie. Au début des années 80, il fut impossible à ce moment de mettre le nom sur la pathologie dont toute ma famille souffrait. Certes cela ressemblait à une « épidermolyse bulleuse ». Dans l'expérience des dermatologues que j’ai connus alors et à la lecture des traités de dermatologie, cette affection était toutefois très grave, très invalidante et parfois mortelle à la naissance, ce qui manifestement n'était pas le cas dans ma famille.

Il en résulta une nouvelle résignation… cette fois médicale de ma part, d'autant plus que je ne connaissais vraiment personne qui soit atteint du même genre de problème que nous.

Notre arbre généalogique

Plus tard lorsque j'ai eu moi-même des enfants j'étais évidemment fort inquiet de savoir s'ils auraient la même « tare » que leur père, leur grand-mère, leur grand-tante et leur arrière-grand-mère…

Dès la naissance en été de ma fille aînée, j'ai constaté qu'elle développait des bulles au contact de la ceinture des Pampers, ce qui laissait d'ailleurs les infirmières assez perplexes. Plus tard dès qu'elle a marché elle a eu des cloches aux pieds elle aussi. Par contre le cadet, mon fils, ne présenta pas ces symptômes à la naissance et encore maintenant est indemne de ce type de pathologie. En considérant notre arbre généalogique, j'en ai déduit que nous étions atteints d'une affection dermatologique héréditaire à transmission autosomique et dominante, celle qu’on transmet à un enfant sur deux. Par déduction toujours j'ai expliqué à ma fille qu'elle avait sans doute comme moi une « forme fruste et manifestement bénigne d'épidermolyse bulleuse » sans savoir en effet que cette pathologie était entretemps bien décrite.

Grâce à Internet et Debra : un nom sur un mystère !

C'est mon fils qui en surfant sur Internet trouva la référence de Debra… Enfin !

Il devenait évident que nous n'étions pas les seuls au monde et que de plus nous avions une forme très légère et bénigne de la maladie.

La transmission génétique autosomique dominante a été d'ailleurs confirmée par la naissance du fils de ma fille (mon petit-fils) qui lui aussi, a présenté des cloches aux endroits de frottement alors que sa sœur cadette est fort heureusement indemne de toute pathologie de ce type.

Le fils de mon fils, qui pour rappel n'était pas atteint n'a aucun symptôme lui non plus.

Je veux souligner combien l’existence d'une association de patients dans le cas d’une maladie rare est essentielle et même indispensable. Elle permet de partager une expérience que l'on croit solitaire, et ainsi de s'épargner une bonne part de souffrance voire de honte.

Accusé d'être un tire-au-flanc

En particulier dans l’enfance ou la jeunesse, les gens qui côtoient les patients atteints d'EB ne comprennent pas le problème.

Ce fut mon cas à l'école où j'étais régulièrement accusé d'être un tire-au-flanc à la gymnastique ou au sport. Notez qu'il suffisait que j'enlève mes chaussures et que je montre l'état de mes pieds pour que le reproche soit oublié.

Il est dur aussi pour un enfant de ne pas pouvoir participer aux excursions, activités sportives ou aux voyages scolaires ou de devoir le faire « à moitié » avec l'aide de camarades ou de professeurs plus ou moins compréhensifs.

Autre anecdote : j'avais fréquenté un Athénée où la fin de la dernière année était couronnée par un voyage scolaire à Rome. J'avais avec mes parents signalé au préfet qu'il était impossible pour moi de me joindre au groupe. Le préfet en question entra dans une colère mal contenue, car « le voyage scolaire était obligatoire et qu’il faudrait chercher d’autres excuses » mais le vent de révolte de mai 68 soufflait déjà…, et mes camarades décidèrent un boycott généralisé de cette activité obligatoire… Et voilà comment un léger handicapé devenait malgré lui un dangereux meneur contestataire anarchiste.

Heureusement, l’attitude du milieu scolaire est certainement plus empathique aujourd’hui. Il n'en demeure pas moins que la pathologie dont nous souffrons n'est toujours pas vraiment comprise par l’environnement scolaire ou professionnel. Il en résulte pour nous la nécessité d'expliquer et d'expliquer encore le problème et les limites qui en résultent.

Merci Debra !

Dans l'immédiat, il n'est pas nécessaire que je répète qu’il n'existe pas de traitement spécifique mais que l'on peut certainement appliquer une prévention efficace et être soulagé par des pansements désormais améliorés. L’essentiel reste néanmoins d’adapter son mode de vie à ses limites, ce qui est plus facile à dire qu’à faire surtout pour un enfant ou un jeune.

Je suis donc à plus d'un titre heureux qu’une association telle que Debra existe. Elle m'a personnellement permis de mettre un nom sur un mystère, de savoir que d'autres souffraient de même problème que six membres de ma famille, de comprendre que la seule attitude rationnelle actuelle est d'augmenter et de favoriser la prévention de l'apparition des cloches et puis de les soigner très empiriquement en les piquant et désinfectant…

J'ai été heureux également de rencontrer une équipe dynamique et motivée qui m’a orienté vers l'unité de soins du Docteur Morren à la KUL. « Normalement », si on se réfère à la littérature, nous devrions être atteints d'une anomalie d'une des cytokératines du cytosquelette de nos cellules, si j'ai bien retenu la 7 ou la 14. Un examen génétique est en cours. C'est de ce côté que se tournent nos espoirs de dépistage et de traitement pour les générations futures.

Bernard Van Den Heule, avril 2017

 

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